Comment tombe-t-on amoureux ?
La recherche scientifique est incorrigible. Il faut qu'elle se mêle de tout. La voici en train d'essayer de mettre en équations l'amour. De mettre en place des instruments pour détecter le coup de foudre, le moment où il survient, son intensité, ses conséquences. Trouvera-t-on un jour un vaccin contre les pulsions ? Trouvera-t-on un moyen pour allumer ou éteindre à volonté notre flamme ? On en est loin, heureusement. Car si l'on sait assez bien décrire ce qu'il se passe après être tombé amoureux, on est bien incapable d'expliquer le «pourquoi du comment». Néanmoins, en quelques années, d'énormes progrès ont été réalisés dans le domaine des neurosciences. Petit à petit, le cerveau livre ses secrets si jalousement gardés. Et la base biologique des émotions, qui sont les signes extérieurs des sentiments, commence à être connue. Tout comme les emplacements dans le cerveau des différents centres nerveux qui gèrent notre vie sentimentale et finalement guident nos comportements en nous aidant à prendre des décisions.
Tomber amoureux est presque une nécessité, on va le voir, pour les humains. Bien que n'étant pas la seule espèce à être majoritairement monogame et, comme les autres, soucieuse d'assurer sa reproduction et sa descendance, les hommes et les femmes ont développé des stratégies bien particulières pour assurer, autant que faire se peut, la longévité de leurs relations. Car la fécondation d'un ovule par un spermatozoïde ne nécessite pas de grandes déclarations enflammées, la rédaction effrénée de poèmes, l'achat de bouquets de fleurs et mille autres choses. Tout cela pour faire que, aiguillonné par le désir, le plaisir, transitoire, pave la longue route, pas forcément tranquille d'ailleurs, du bonheur à long terme.
D'un point de vue biologique, il faut d'abord savoir que nous sommes «deux en un». Notre corps d'un côté, et notre cerveau de l'autre. Ils sont physiquement séparés par des barrières membraneuses. Mais ils sont en interaction permanente. Si le cerveau mène généralement la danse, le corps peut lui aussi imposer des décisions. Chacun peut déclencher, en fonction des circonstances, des tempêtes hormonales ou des calmes inébranlables. Ils peuvent aussi parfois s'opposer, s'empêcher mutuellement d'agir.
Un jeu subtilentre le corps et le cerveau
Le corps envoie des informations au cerveau via ses instruments sensitifs, vue, ouïe, odorat, toucher, goût… Le cerveau, qui va analyser ces informations, dispose de deux façons de réagir : d'une, par le biais de ses «câbles» nerveux, il va par exemple ordonner à des membres de bouger, et, de deux, en se comportant en véritable glande par l'envoi d'hormones, comme la dopamine, par exemple, vers les organes. Là où tout se complique, c'est que le corps lui aussi produit des hormones dont certaines, pas toutes, peuvent agir dans le cerveau, comme les hormones sexuelles, les stéroïdes. Et que le cerveau peut agir sur lui-même en secrétant des hormones à usage interne. Cela fait beaucoup de circuits possibles, d'interactions et de rétroactions compliquées. Ces hormones sont produites dans une petite zone située au centre et en bas du cerveau, l'hypothalamus. C'est lui le vrai centre nerveux des passions. Et c'est lui qui va être maître d'œuvre des réactions du corps lorsque, par exemple, on tombe amoureux : accélération du rythme cardiaque, de la respiration et de la sudation, apparition de rougeurs, montée de chaleur…
Si on ne peut nier que des «mécanismes biologiques» sont au cœur des réactions du corps aux sentiments amoureux, tomber amoureux met en jeu bien d'autres facteurs. Les neurobiologistes estiment ainsi maintenant qu'au cours du développement d'un individu, tout comme il acquiert par exemple le langage, il se dote de sortes de «cartes psychiques», représentations mentales d'«idéaux» qui gouverneront ses choix, ses attirances et ses comportements. Et il se fabrique ce qu'un célèbre neurobiologiste a appelé la «carte du tendre». Elle dépeint dans votre tête, inconsciemment, votre amoureux(se) idéal(e) et votre relation idéalisée. Ce que l'on appelle aussi joliment «l'âme sœur».
Et on a effectivement pu montrer que l'hypothalamus devait avoir des liens très forts avec des régions de l'encéphale en charge des représentations et des processus intellectuels. Avec donc, de plus, l'intervention de la mémoire, sur le mode de la «madeleine de Proust».
Mais cette «carte du tendre» est susceptible de changement et d'évolution. Même si le plaisir lié aux actes amoureux, penser à l'autre, se tenir la main, du tendre baiser à l'acte sexuel, est conçu pour renforcer, avec force émissions d'hormones, la représentation mentale de l'autre et la relation amoureuse, cela ne suffit malheureusement pas toujours.
Pour en savoir plus : Voyage extraordinaire au centre du cerveau, Jean-Didier Vincent. Éditions Odile Jacob.
» Toutes les chroniques de Jean-Luc Nothias
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Derrière le coup de foudre, se cacherait une «carte du tendre», sorte de profil idéal que se fabriquerait chaque individu pour trouver l'âme sœur.
HISTOIRES DE SAVOIR - La chronique de Jean-Luc Nothias du 28 mai.La recherche scientifique est incorrigible. Il faut qu'elle se mêle de tout. La voici en train d'essayer de mettre en équations l'amour. De mettre en place des instruments pour détecter le coup de foudre, le moment où il survient, son intensité, ses conséquences. Trouvera-t-on un jour un vaccin contre les pulsions ? Trouvera-t-on un moyen pour allumer ou éteindre à volonté notre flamme ? On en est loin, heureusement. Car si l'on sait assez bien décrire ce qu'il se passe après être tombé amoureux, on est bien incapable d'expliquer le «pourquoi du comment». Néanmoins, en quelques années, d'énormes progrès ont été réalisés dans le domaine des neurosciences. Petit à petit, le cerveau livre ses secrets si jalousement gardés. Et la base biologique des émotions, qui sont les signes extérieurs des sentiments, commence à être connue. Tout comme les emplacements dans le cerveau des différents centres nerveux qui gèrent notre vie sentimentale et finalement guident nos comportements en nous aidant à prendre des décisions.
Tomber amoureux est presque une nécessité, on va le voir, pour les humains. Bien que n'étant pas la seule espèce à être majoritairement monogame et, comme les autres, soucieuse d'assurer sa reproduction et sa descendance, les hommes et les femmes ont développé des stratégies bien particulières pour assurer, autant que faire se peut, la longévité de leurs relations. Car la fécondation d'un ovule par un spermatozoïde ne nécessite pas de grandes déclarations enflammées, la rédaction effrénée de poèmes, l'achat de bouquets de fleurs et mille autres choses. Tout cela pour faire que, aiguillonné par le désir, le plaisir, transitoire, pave la longue route, pas forcément tranquille d'ailleurs, du bonheur à long terme.
D'un point de vue biologique, il faut d'abord savoir que nous sommes «deux en un». Notre corps d'un côté, et notre cerveau de l'autre. Ils sont physiquement séparés par des barrières membraneuses. Mais ils sont en interaction permanente. Si le cerveau mène généralement la danse, le corps peut lui aussi imposer des décisions. Chacun peut déclencher, en fonction des circonstances, des tempêtes hormonales ou des calmes inébranlables. Ils peuvent aussi parfois s'opposer, s'empêcher mutuellement d'agir.
Un jeu subtilentre le corps et le cerveau
Le corps envoie des informations au cerveau via ses instruments sensitifs, vue, ouïe, odorat, toucher, goût… Le cerveau, qui va analyser ces informations, dispose de deux façons de réagir : d'une, par le biais de ses «câbles» nerveux, il va par exemple ordonner à des membres de bouger, et, de deux, en se comportant en véritable glande par l'envoi d'hormones, comme la dopamine, par exemple, vers les organes. Là où tout se complique, c'est que le corps lui aussi produit des hormones dont certaines, pas toutes, peuvent agir dans le cerveau, comme les hormones sexuelles, les stéroïdes. Et que le cerveau peut agir sur lui-même en secrétant des hormones à usage interne. Cela fait beaucoup de circuits possibles, d'interactions et de rétroactions compliquées. Ces hormones sont produites dans une petite zone située au centre et en bas du cerveau, l'hypothalamus. C'est lui le vrai centre nerveux des passions. Et c'est lui qui va être maître d'œuvre des réactions du corps lorsque, par exemple, on tombe amoureux : accélération du rythme cardiaque, de la respiration et de la sudation, apparition de rougeurs, montée de chaleur…
Si on ne peut nier que des «mécanismes biologiques» sont au cœur des réactions du corps aux sentiments amoureux, tomber amoureux met en jeu bien d'autres facteurs. Les neurobiologistes estiment ainsi maintenant qu'au cours du développement d'un individu, tout comme il acquiert par exemple le langage, il se dote de sortes de «cartes psychiques», représentations mentales d'«idéaux» qui gouverneront ses choix, ses attirances et ses comportements. Et il se fabrique ce qu'un célèbre neurobiologiste a appelé la «carte du tendre». Elle dépeint dans votre tête, inconsciemment, votre amoureux(se) idéal(e) et votre relation idéalisée. Ce que l'on appelle aussi joliment «l'âme sœur».
Et on a effectivement pu montrer que l'hypothalamus devait avoir des liens très forts avec des régions de l'encéphale en charge des représentations et des processus intellectuels. Avec donc, de plus, l'intervention de la mémoire, sur le mode de la «madeleine de Proust».
Mais cette «carte du tendre» est susceptible de changement et d'évolution. Même si le plaisir lié aux actes amoureux, penser à l'autre, se tenir la main, du tendre baiser à l'acte sexuel, est conçu pour renforcer, avec force émissions d'hormones, la représentation mentale de l'autre et la relation amoureuse, cela ne suffit malheureusement pas toujours.
Pour en savoir plus : Voyage extraordinaire au centre du cerveau, Jean-Didier Vincent. Éditions Odile Jacob.
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